Si l’Amérique a le triathlon d’Hawaii, alors l’Europe aura le triathlon de Nice. C’est en effet pour contrecarrer l’épreuve hawaiienne que le triathlon est entré dans l’histoire de Nice. Un peu par hasard, mais pour l’éternité !
Par Luc Beurnaux
C’est sur un coup du sort, et un peu par hasard, que Nice est devenue une place forte du triathlon français et mondial. Elle le doit à la volonté d’un seul homme, l’Américain Mark McCormack. Avocat, agent de sportifs professionnels (en particulier dans le golf et le tennis), auteur prolifique, le sémillant McCormack est aussi le fondateur de ce qui est encore aujourd’hui l’une des plus grandes agences de marketing sportif au monde, l’agence IMG (International Management Group). Comme bon nombre de ses concitoyens, Mc Cormack, tombe, en 1982, sur les images fascinantes de Julie Moss lors de son finish rampant à Hawaii. L’intrépide businessman américain y décèle tous les ingrédients d’une nouvelle aventure des temps modernes. Et s’empresse de dupliquer le modèle de l’Ironman d’Hawaii en Europe, pour séduire le Vieux Continent, et exporter une recette qui fonctionne Outre-Atlantique. Le site est tout choisi : il s’agira de Monaco. Mais le décès soudain de la Princesse Grâce fait capoter le projet d’évènement dans la Principauté. McCormack ne veut pas perdre de temps, dans son contre-la-montre avec Hawaii, et trouve rapidement un nouveau site pour son triathlon longue distance : ce sera Nice, sa Baie des Anges, son arrière-pays, et sa Promenade des Anglais. Jusque-là, le triathlon Longue distance n’est qu’anecdotique en Europe. Il y a bien eu un format long (2/200/20) à Plzen, dans la Tchécoslovaquie de l’époque, en 1980, et d’autres tentatives aux Pays-Bas, Hongrie, RFA et RDA, en 1981. Mais aucun site n’a les atouts de la French Riviera et la situation de Nice, et aucun organisateur n’a la puissance ou les moyens de McCormack.
Une première édition popuplarisée par la télévision
Le 20 novembre 1982 se déroule donc le premier triathlon international Longue distance de France, constitué de 1500m de natation en Méditerranée, 100km de vélo dans l’arrière-pays, et 42,2 km à pied. 57 « hurluberlus » s’élancent en maillot de bain dans la Baie des Anges, dans une eau à 14°C, dont 9 Français, et une Française, Majo Bouteleux. 40 verront la ligne d’arrivée, 17 abandonneront, dont 7 finiront à l’hôpital. Même John Howard, vainqueur à Hawaii en 1981, est « coulé » pendant la natation, et doit abandonner. A l’issue des 1.500 mètres de natation l’Anglais Flagerty sort le premier de l’eau. Il est rapidement dépassé en vélo par le Hollandais Axel Koenders qui fait durer le suspense pendant les 100 kilomètres. Mais le marathon a raison de ses forces. Un certain Mark Allen le dépasse, puis Scott Molina, Scott Tinley, Jeff Tinley (le frère) et encore quelques autres. Allen remporte cette épreuve inaugurale, en 6h33’52. Le premier Européen est un Hollandais, Jim KOSTER, qui termine 7e. Le premier Français, Jean-Paul Theulin, termine 15e (8h14’12’’). Majo Bouteleux, la première triathlète française, termine la course en 10h41’37’’. Un mois après, Antenne 2 diffuse » Voyage au bout de la souffrance ».
Peu de téléspectateurs échappent à ce reportage. Les critiques sont parfois acerbes, comme celle de Jacques Belin (Télérama), qui écrit : « C’est sans doute aussi un record de mauvais goût. » ou « A trop vouloir prouver, on risque d’atteindre le contraire du but recherché ». Un accueil plutôt froid, mais qui n’arrête pas McCormack. Dans sa course à l’hégémonie face à Hawaii, l’Américain met toujours plus de moyens. En 1983, il adapte le format (qui devient 4/120/32), déplace la date à septembre, et met un système de primes en place pour attirer les meilleurs. L’année suivante, plus de 400 concurrents se pressent à Nice. En 1985, la grille de prix progresse encore (avec notamment 10 000 dollars pour le vainqueur), et des primes de départ sont distribuées. Les chaînes de télé concurrentes ABC (pro-Hawaii) et CBS (pro McCormack) s’affrontent à coup de dollars interposés. Tous les coups sont permis pour s’attirer le plus beau des plateaux, et les plus grandes retombées. L’édition 1985 est déplacée à octobre, dans le même mois que Hawaii. Ce qui prive l’une ou l’autre des compétitions de certains des meilleurs athlètes. Nice attire cette année-là sans doute son plus beau plateau, avec le Big Four américain, le local Yves Cordier et le meilleur européen d’alors, Rob Barel. Chez les filles, on retrouve Erin Baker, Silviane Puntous, Paula Newby Fraser. Le public peut approcher de près toutes ces stars. Le triathlon à Nice se fait une réputation, et sa popularité grandit.
Duels mémorables entre Allen et Cordier
En 1986, le cap des 1000 partants est dépassé. Pour le meilleur, et pour le pire. Dans l’eau, mis à part le top 20, tout le monde coupe le parcours. A vélo, la route n’est pas fermée. La grande majorité des coureurs monte les cols en peloton. Impossible de pénaliser autant de fautifs. Ecoeurés par ce drafting de masse, beaucoup de concurrents abandonneront cette édition lors de la course à pied. La rançon du succès ? On oublie vite cette débandade, et on rectifie le tir pour les éditions suivantes. En 1987, Hervé Niquet est le premier Français à monter sur le podium (3e). L’année suivante, Rob Barel devient le 1er Européen à l’emporter à Nice. Mark Allen est absent, détail d’importance. En 1991, c’est le premier podium de Yves Cordier, l’ambitieux coureur local. L’année suivante, tout le monde pense qu’il sera le premier Français à l’emporter à Nice. Il possède 4’50 d’avance sur Barel à la fin du vélo, et 9 minutes sur Allen. Escorté par toutes les motos de télévision sur la partie pédestre reliant Nice à Antibes (et retour), Cordier est une cible de choix pour Allen. Petit à petit, l’Américain refait son retard, pour finalement doubler et « crucifier » Cordier à 800m de la ligne d’arrivée ! Il faudra attendre 10 ans de plus (et la victoire de Gilles Reboul en 2001) pour voir triompher un Français sur la course masculine ! Entre-temps, Isabelle Mouthon sauve l’honneur tricolore, en s’imposant chez les filles en 1993. Cette année-là, Mark Allen y remporte son 10e et dernier sacre. Mc Cormack, après avoir atteint son objectif de créer un évènement planétaire à Nice, se retire. C’est la fin des années folles. La fédération française de triathlon, et la Ville de Nice passent aux commandes de l’épreuve. Des pouvoirs publics et fédéraux qui n’ont pas les mêmes moyens que le groupe privé américain. Ni le même pouvoir marketing. L’attrait populaire est toujours vif, mais l’épreuve perd de son aura auprès des meilleur(-e)s. L’épreuve se voit confier plusieurs organisations de Championnats du monde Longue distance par l’ITU, ce qui sauve les meubles. Les années 2000 voient une « francisation » de l’épreuve, qui met en avant la très belle équipe de France Longue distance, où les Chabaud, Reboul, Faure, Neveu, Loy brillent de mille feux. Après 11 éditions, la FFTRI passe la main.
L’arrivée d’Ironman en 2005
En 2005, Yves Cordier, à la tête de Ironman France, reprend le flambeau. Le label Ironman, le savoir-faire de la société, la connaissance du milieu de Cordier redonne de l’éclat à l’épreuve. Les inscriptions sont « sold out » des mois avant l’échéance. Près de 3000 triathlètes veulent venir affronter le parcours jugé comme l’un des plus beaux du circuit Ironman. La mer d’huile (le plus souvent) au petit jour, le col de Vence, le col d’Eze, le bitume surchauffé de la Promenade pour un marathon interminable, autant d’ingrédients qui entretiennent la légende. Replacé en juin, c’est un moment fort de la saison estivale. Et aussi la chasse gardée de triathlètes spécialement préparés pour cette épreuve. Marcel Zamora, quintuple vainqueur, trouve sur ce parcours vallonné tous les ingrédients pour effectuer une dernière répétition avant Embrun. Frederik Van Lierde, autre quintuple vainqueur, se régale dans le relief de l’arrière-pays, tout comme sa compatriote Tine Deckers (quintuple vainqueur). La concurrence avec l’Ironman Francfort, en juillet, ou avec Roth (juillet), et la difficulté du parcours, aura sans doute privé Nice de plus denses plateaux encore. L’organisation des Championnats du monde Ironman masculins à Nice en 2023, permet de voir les plus grands champions du moment se mesurer sur la Promenade ! Et comme un clin d’oeil à l’Histoire, Sam Laidlow devient le premier Français à décrocher le titre mondial sur la distance Reine ! Nice, encore et toujours dans l’Histoire !