Passées les émotions et les frissons provoqués par le spectacle grandiose proposé hier, revenons plus « froidement » sur ce jour historique vécu par le triathlon français, et plus….
Par Luc Beurnaux – Photos KMSP et World Triathlon
- Une vraie fête
Paris aura donc eu sa magnifique épreuve olympique de triathlon. Peut-être sommes-nous trop chauvins, mais quel autre site a pu rivaliser avec celui du Pont Alexandre III, son dôme doré des Invalides en fond d’écran, ses Champs Elysées et ses pavés traîtres, ou son boulevard St Germain ? La liesse populaire fut au rendez-vous également, malgré la pluie de la nuit et du petit matin, avec des tribunes bien occupées et des rangs bien fournis en spectateurs derrière les barrières sur les zones gratuites….(peut-être pas autant qu’à Londres, certes). Après toutes les polémiques stériles, nager dans la Seine a grandement participé au spectacle (oui, c’est aussi un spectacle, et les concurrents de vrais artistes talentueux). Et c’est sur cette partie natation que la difficulté technique était la plus marquée et la plus inattendue aussi, à cause du courant. La natation aura permis de faire des écarts chez les filles, de créer un groupe d’échappé en vélo, qui ira jusqu’au bout. Ce ne fut pas le cas chez les garçons, où le parcours vélo sans réelle difficulté – mais comme c’est la norme depuis des années sur le circuit olympique – n’aura pas permis d’écrire un scénario plus aléatoire. Mais ne boudons pas notre plaisir d’une épreuve finalement bien née et conclue admirablement pour nos couleurs !
- La hiérarchie respectée…
La logique du moment aura été finalement respectée quand on regarde la hiérarchie établie sur les podiums. Cassandre Beaugrand avait gagné ses 2 dernières courses de préparation, avec Beth Potter – vainqueure du Tes Event – souvent très proche d’elle. La surprise vient de Julie Derron, vice-championne olympique, très active à pied et qui aura tenu jusqu’au bout. Mais venant d’une athlète coachée par Brett Sutton, coach des championn(e)s olympiques Hamish Carter, Emma Snowsill et Nicola Spirig (ou encore des médaillés Loretta Harrop ou Jan Rehula), on n’en n’attendait pas moins…. La tradition suisse sur le podium s’est ainsi perpétuée, après le titre et la 3e place des filles en 2000 (Brigitte Mac Mahon et Magali Messmer), la médaille de bronze de Riederer à Athènes, le titre de Nicola Spirig à Londres….
On attendait peut-être davantage les Allemandes Lindemann ou Tersch sur le podium, mais elles n’ont jamais vraiment pu peser sur la course. Flora Duffy (BER) et Georgia Taylor-Brown, (GB), elles, après de longues blessures, sont les bonnes surprises de la course féminine, et sans ces coupures forcées, peut-être auraient pu faire mal davantage !
Chez les hommes, c’est à un énième mano a mano entre Alex Yee et Hayden Wilde auquel nous avons eu droit, comme lors des dernières saisons sur WTCS, ou comme lors des deniers JO. Les deux hommes étaient déjà arrivés dans cet ordre il y a quelques semaines à Cagliari, et sur les dernières saisons, le Britannique aura pris plus souvent l’avantage sur le Kiwi lors de leurs quelques confrontations.
Sur ces JO, Yee aura montré qu’il n’était plus aussi friable en natation, sortant à 27 secondes des leaders, dans des conditions difficiles, soulignées par Wilde. « La natation était plus difficile que l’année dernière lors du test Event » notera Wilde. « Le courant était beaucoup plus fort. C’était techniquement la natation la plus difficile que je n’ai jamais faite. Les temps réalisés montrent que c’était dur. Il fallait tracer sa propre ligne, la rectifier en fonction du courant. J’ai essayé d’aller le plus possible sur la droite, et je suis sorti dans une position dont j’étais assez satisfait. » dira Wilde, sorti à une trentaine de secondes de Yee. Le Néo-Nélandais, pris dans un 2e groupe vélo avec Kristina Blummenfelt (NOR), comptera ensuite sur le sacrifice de son équipier pour remonter sur le groupe de tête. « C’est grâce à Dylan McCullough, qui m’a attendu et qui a comblé l’écart en vélo et sacrifié sa course, que j’ai obtenu la médaille d’argent » poursuit Wilde. Un métal qu’on a cru doré jusqu’à quelques mètres de la ligne, avant ce retour incroyable de Yee.
« J’ai donné le meilleur de moi-même pendant la course à pied », assurait ce dernier. « Entre le 2e et le 6e km, j’ai traversé un moment vraiment difficile et, honnêtement, je pensais que la course était terminée, avec les gars derrière qui revenaient. Mais je voulais me donner une dernière chance et ne pas abandonner pour toutes ces personnes qui avaient travaillé avec moi pour accomplir ce rêve. Je leur devais, ainsi qu’à moi-même, de me donner une dernière chance sur les 3 derniers kilomètres qui restaient ».
Puis l’impensable est arrivé. Alors que l’or semblait acquis pour le Néo-Zélandais, la chaleur et l’effort ont pris le dessus et Yee a senti le moment venu. Au km 8,5 environ, les choses ont commencé à évoluer dans les rues de Paris. Soudainement, l’écart entre les 2 leaders est repassé sous les dix secondes, puis cinq, alors que le duo atteignait le boulevard Saint-Germain une dernière fois. Avant le dernier virage à droite sur le tapis bleu, Yee était revenu sur Wilde et l’a dépassé. Yee a couru 20 secondes plus vite que Wilde sur les 1,5 derniers kilomètres pour se détacher et franchir la ligne d’arrivée avec 6 secondes d’avance sur son rival, qui obtient donc l’argent olympique après le bronze de Tokyo. C’est aussi un 3e titre en 7 JO pour les Britanniques chez les hommes (après Brownlee en 2012 et 2016).
- Le talent français enfin récompensé
Olivier Marceau (8e en 2000), Isabelle Mouthon (7e en 2000), Fred Belaubre (5e en 2004), David Hauss et Laurent Vidal (4e et 5e en 2012), Léonie Périault (5e en 2021) avaient tous touché du doigt le rêve d’une médaille olympique, sans jamais y parvenir. En remportant le titre individuel féminin et la médaille de bronze masculine hier, c’est presque un quart de siècle de travail, de remise en question et de concrétisation d’une domination sur les 3 dernières années qui est récompensé. La confirmation d’une génération exceptionnelle, mais aussi d’un travail constant de la part de l’encadrement des athlètes, et de celui de la fédération, qui aura essuyé bien des revers et déceptions avant de connaître cette apothéose : « Je sais d’où l’on revient, je sais par quoi on est passé, il a fallu à un moment donné s’interroger sur les raisons pour lesquelles ça ne passait pas sur cette course d’un jour » avouait Stéphanie Gros, entraîneur national qui vivait ses 5e JO. « On performait sur le championnat du monde par étapes, mais on peut y faire des courses moyennes et être champion du monde quand même. Les JO, ça n’a rien à voir, c’est un jour, une heure. Ce n’est pas une heure avant, ni une heure après, et encore moins le lendemain ».
La FFTRI aura su se remettre en cause et mettre en place un système de suivi et de préparation singulier, qui laisse libre choix aux athlètes de s’entraîner individuellement, à l’année, dans le cadre qui leur sied et avec qui ils veulent (entraîneur français ou étranger), comme Cassandre Beaugrand en solo en Angleterre, Dorian Coninx, dans un groupe privé à Grenoble, Léo Bergère dans la structure fédérale de Boulouris….. « On ne demande pas à ce que tout le monde soit entraîné ensemble, en même temps. On se retrouve en stage d’entraînement mais le reste du temps, les athlètes construisent un peu leur système, et nous, on les accompagne à partir du moment où on estime que c’est conforme à nos attentes et que c’est cohérent. »
Des athlètes laissés libres de leur choix, ce qui favorise sans doute leur épanouissement, comme on a pu le constater chez Cassandre Beaugrand. Paraissant plus mûre, plus détendue, plus souriante, plus confiante depuis son exil en Angleterre, la nouvelle championne olympique a surtout appris à se faire mal et à accepter cette souffrance inhérente au haut niveau. Le chemin fut long pour parvenir à cet état, mais le résultat est tellement valorisant !
Stéphanie Gros, qui l’a encadrée dès ses 17 ans, sait le chemin parcouru depuis. « Cassandre faisait partie de ces athlètes qui ont beaucoup de talent et qui dominaient les catégories jeunes sur ce seul talent. A cet âge, elle ne travaillait pas dur et n’allait pas jouer avec les limites de la douleur. Et c’est ça qui a été difficile à lui faire admettre : s’entraîner dans l’inconfort de la fatigue, dans la douleur. Qu’elle réussisse aussi à être satisfaite d’une séance, même si ce n’était pas sa meilleure séance, parce qu’elle avait été faite dans des conditions particulières, avec de la fatigue, etc. Ça a été un long cheminement pour elle, ça n’a pas été facile à accepter parce qu’à chaque séance qu’elle faisait, il fallait que ce soit ses meilleurs chronos…. Je lui ai dit que ça, ça marchait quand elle était jeune, mais qu’après il fallait aller chercher d’autres choses…. » explique l’entraîneure nationale, qui n’était pas des plus sereines en début de saison. « J’étais un peu inquiète des premières courses que Cassandre a faites, parce que je trouvais qu’elle n’était pas assez combative. Comme je suis restée assez proche d’elle, je lui ai dit les choses, sans prendre de gants, je l’ai un peu secouée : je lui ai dit que si elle voulait faire la meilleure perf de sa vie aux Jeux, il fallait changer de mode, et faire tomber les barrières qui lui restaient… Déjà à Cagliari elle avait tenté des choses, pris des risques, gagné au sprint devant 4 autres athlètes ce qu’elle n’avait jamais réalisé avant, c’était très bon signe ! C’était maintenant jamais, et elle a su le faire avec brio ! »
« Cela fait longtemps que Cassandre est annoncée comme la future très grande » explique pour sa part le DTN Benjamin Maze. « Et là, ça y est, elle est la plus grande. Elle a su répondre présent, surtout sur des JO à la maison, avec une pression très forte. Je crois qu’elle a su faire aussi sa mue et se focaliser sur toutes les étapes qui lui ont permis de construire ce résultat. Je crois que c’est la chose dont elle peut être la plus fière » conclut le DTN.
- La force d’un collectif
Les performances individuelles françaises sont aussi le résultat d’un bel état d’esprit tourné autour du collectif, et d’un travail de longue haleine réalisé sur plusieurs années. A l’image du « duel » Le Corre-Bergère chez les garçons, l’important était d’aller chercher une médaille, peu importe à qui elle revenait. Et de ne surtout pas l’offrir aux adversaires parce qu’ils se seraient regardés dans le final, et fait reprendre. Pas forcément facile à accepter pour les protagonistes sur le papier, mais vu la satisfaction affichée par Pierre le Corre à l’arrivée, ce ne sont pas que des paroles en l’air.
Influer sur la course, pour la faire basculer en sa faveur, tel était l’objectif visé et assumé pour les collectifs français. « La chose sur laquelle on a vraiment voulu travailler depuis les Jeux de Tokyo, c’est cette capacité à être présent, et à être consistant dans la course » appuie Benjamin Maze. « Aujourd’hui (hier ndr), chez les filles, c’était une course à élimination sur la partie vélo, avec cette chaussée détrempée et énormément de chutes. Flora Duffy a essayé de nous mettre en danger, mais on a su réagir. Et l’autre challenge, c’était la gestion de l’événement. Il y avait énormément de public et d’attente, donc il fallait être capable de gérer, je crois que toute le monde a su le faire et en tirer le bénéfice » analyse le DTN. « Le gros point positif pour l’équipe, c’est l’attention mentale mise dans la tâche proposée. C’est cette capacité à se focaliser, à se concentrer sur les éléments sur lesquels on a une emprise, une maîtrise. On ne pouvait pas avoir de de maîtrise sur la météo, ni sur le courant dans l’eau. Inutile de perdre un influx là-dedans. Mais on pouvait avoir une maîtrise de sa préparation, et de l’état d’esprit dans lequel on se présentait. Et sur ce point, toute l’équipe était au diapason… »
– Deux 4e places, rageant ?
A quelques secondes près, et les 4e places de Pierre Le Corre et Emma Lombardi, le bilan individuel français aurait pu être encore plus exceptionnel. « C’est forcément un sentiment très contrasté » assure Benjamin Maze. « Mais ces 4e places, c’est quand même la preuve qu’on a réalisé une course complète, même si l’aigreur de ne pas être médaillé, ça doit être terrible à vivre. Ca montre tout de même la capacité que Pierre et Emma ont eu à se préparer, à répondre présent, notamment Emma qui était l’une des plus jeunes triathlètes alignées ici (22 ans), et qui a montré des qualités physiques et mentales incroyables. On va laisser un petit peu l’aigreur passer, et je pense qu’ensuite elle réalisera que ce qu’elle a fait est déjà impressionnant. Elle a très bien joué tactiquement, et il n’aura pas manqué grand-chose ».