Le Challenge Roth, c’est un pionnier, et un mythe du triathlon longue distance mondial. Un bien précieux, comme tout ce qui résiste au temps, et aux modes. Une réussite familiale, aussi. Intouchable, indéboulonnable. A 35km au sud de Nuremberg, et au bord du grisâtre canal Main-Danube, la destination n’a rien d’exotique. Et pourtant. Roth sera toujours Roth.
Photos Getty Images
Mes paupières s’ouvrent sur une toile de tente d’un bleu passé. Vietnam, Kirghiztan, désert d’Abu Dhabi, c’est qu’elle en a connu des nuits étoilées aux quatre coins du monde ! Un petit mal de dos me tire de ma léthargie. Le sol est dur. Et on n’a plus vingt ans, surtout. De toute façon, je n’ai jamais trop goûté au camping. Sauf à 10 ans, dans le jardin des parents. Mais sur le triathlon de Roth, c’est une tradition, dans un circuit mondial de triathlon plus habitué aux cinq étoiles et aux paillettes. Ici, au fin fond de la Bavière, tout le monde, ou presque, est logé à cette enseigne. Le statut de journaliste ne « protège » de rien. Et surtout pas d’une nuit à la belle étoile. Mais c’est un choix. Poser sa tente, à la sauvage, au bord du canal, c’est s’immerger dans l’ambiance de Roth. Planter les sardines à proximité des camping-car rutilants de centaines de concurrents, c’est déjà se rapprocher du cœur de l’action. Car tout commence bien avant la course, à Roth, et notamment sur les berges de ce canal dans lequel, dans quelques heures, ils seront des milliers à s’élancer par vagues, au rythme des salves d’un canon digne de la Grosse Bertha. Les plus précautionneux auront réservé des mois avant une hypothétique chambre dans un hôtel de Nuremberg, à une demi-heure de route. Conquérir Roth, c’est accepter ces conditions parfois spartiates, après avoir accumulé des heures de route pour parvenir à ce village de 25 000 habitants, qui multiplie par 10 sa population le jour de l’épreuve.
Lorsque le ciel s’assombrit, ou que les trombes d’eau se déversent sur le site, c’est lugubre, comme partout. L’eau du canal n’y est pas cristalline, loin de là, les points de vue n’ont rien d’imprenable. Mais qu’est-ce qui fait donc la magie de Roth ? Qu’est-ce qui fait que des milliers d’amateurs veulent accrocher l’épreuve à leur palmarès ? Ou que les meilleurs pros mettent parfois Roth et Hawaii sur un même pied d’égalité ?
Réponse : la qualité de l’organisation, le soin et l’attention qu’on porte à « l’expérience athlète », et une ambiance autour de l’épreuve qui n’a sans doute pas d’équivalent. Et ce depuis plus de trois décennies.
Le premier label IRONMAN d’Europe
Apparu au calendrier en 1984, le triathlon de Roth est l’une des plus vieilles épreuves longue distance du calendrier mondial. Dans les années 90, elle devient la première épreuve européenne à intégrer le circuit Ironman alors en construction, en devenant, aux côtés des Ironman Nouvelle Zélande, Japon et Canada, la 4e épreuve qualificative pour les Championnats du monde à Hawaii. C’est alors le point de passage quasi obligé pour les athlètes européens désireux de se qualifier pour la grand-messe hawaienne, sans partir à l’autre bout de la terre arracher son « slot » qualificatif. Un statut qui participera grandement à l’aura et à la fréquentation de l’épreuve, imaginée par Herbert Walchshöfer, professionnel dans le domaine du tourisme.
La réputation de l’épreuve se forge aussi sur un parcours rapide, où plusieurs « records du monde » officieux de la distance XXL sont battus. En 1996, Lothar Leder (ALL) y établit la première marque référence, en 7 h 57 min 21, imité l’année suivante par le Belge Luc Van Lierde (7h50 :27). En 2011, Andreas Raelert (ALL) détrône le Belge, en 7 h 41 min 33, et plus récemment, Jan Frodeno (ALL) repousse un peu plus la barrière mythique des 8 heures en l’emportant, en 2016, en 7 h 35 min 39. Mais l’actuel détenteur du record est bien Magnus Ditlev (DAN), vainqueur de l’épreuve en 2023, en 7h24:40, qui a amélioré cette marque en 2024, pour la porter à 7h23:24.
Une construction familliale
Après la disparition fin 2007, de Herbert Walchshöfer, l’épreuve reste dans le giron familial. Son fils Felix, sa fille Kathrin et sa veuve Alice font perdurer l’âme du triathlon de Roth depuis une quinzaine d’années désormais. Les 2500 dossards s’arrachent chaque année comme des petits pains. Le contingent tricolore est l’un des plus important, avec près de 500 concurrents chaque année. « Notre philosophie est toujours restée la même » explique Felix Walchshöfer pour expliquer la réussite de son épreuve. « Donner la priorité à l’athlète ». « D’ailleurs, c’est pour ça qu’on a quitté le giron Ironman. Mon père n’appréciait pas les changements imposés par la WTC ; il pensait qu’ils n’étaient pas destinés à améliorer l’expérience athlète ; alors il a décidé de se passer de la WTC. La première année fut compliquée, la deuxième, c’est mieux allé, et au final, les triathlètes ont réalisé que Roth restait toujours Roth.
La seule chose qui avait changé, c’était le logo sur l’arche d’arrivée. Et rapidement, on a accueilli plus de monde que ce qu’on accueillait quand on était avec Ironman. Aujourd’hui, on ne se compare pas avec les autres. On reste concentré sur notre mission d’offrir la meilleure expérience aux concurrents. On analyse chacun des retours, et on améliore chaque année les standards d’organisation » confie Félix, à la tête désormais de la Société TeamChallenge qui emploie 8 salariés, dirige 35 directeurs de courses, 32 personnes au service athlètes, et plus de 7000 bénévoles. « Les premières années, mon père, sa belle-sœur et ma mère géraient tout depuis notre maison. Je me souviens qu’ils ne prenaient jamais de vacances. Tout était dicté par le triathlon. Moi, je n’ai jamais vécu sans cet événement. J’avais 3 ans lors de la première édition. Je n’ai jamais connu Roth sans son triathlon. Les athlètes étaient mes idoles. Alors que les autres enfants affichaient des posters de stars du cinéma dans leurs chambres, moi j’avais des posters des triathlètes » se souvient Félix.
Une expérience mémorable pour les accompagnateurs
Jürgen Zack (5 victoires), Cristian Bustos, Paul Kiuru, Lothar Leder (5 victoires), Chris MacCormack (4 victoires), Jan Frodeno, Paula Newby Fraser (3 victoires), Chrissie Wellington (3 victoires), Mirinda Carfrae, Caroline Steffen, ou Daniela Ryf… Le gratin mondial toutes générations confondues ont fait les grandes heures de l’épreuve. « Demandez à 10 personnes ce qui fait l’attrait de Roth, et je pense que vous aurez 10 réponses différentes » poursuit l’organisateur. « Mais ce qui revient souvent, c’est l’attention portée aux athlètes, la formidable effusion populaire avec 260 000 personnes au bord des routes, et le dévouement des milliers de bénévoles durant tout le week-end de course ». L’expérience de Roth est aussi un grand souvenir pour les accompagnateurs.
Ils sont des milliers à se hisser au pied d’une des trois côtes du parcours vélo, la côte de Solarberg. Un point mythique du parcours, où la foule se retire au dernier moment pour laisser passer les vélos. L’Alpe d’Huez, version bavaroise. Pas moins de 17 « hot spots » de la sorte sont placés le long du parcours, pour encourager les concurrents. Des animations, façon marathon, avec les crécelles qui vous déchirent les tympans, des bandas à la sauce germanique, et souvent saucisses et pintes de bière à portée de main ! Une ambiance qui vous porte, malgré la douleur, vers une arrivée incroyable sur la finish line, dressée dans une véritable arène bouillonnante. A la nuit tombée, luminions en main, ils sont des milliers à attendre leur coureur, ou celui des autres, d’ailleurs. Unis dans la même passion, de toujours, ou d’un jour. Au passage du dernier finisher, le ciel sombre s’éclaire au rythme d’un feu d’artifice grandiose. Fin du show. Il aura bien fallu tout ça pour oublier cette mauvaise nuit, et ce mal de dos…
A LIRE AUSSI :
Le plateau du Challenge Roth 2024
Défi – 120 triathlons de Roth en 120 jours
Challenge Roth 2023 – Une édition de tous les records