L’Alpe Triathlon, c’est beaucoup plus qu’une pente, et 21 virages. Aussi fameux soient-ils. Si la célèbre montée popularisée par le peloton du Tour de France est sans conteste un vecteur de la réussite du triathlon de l’Alpe d’Huez, ce n’est pas le seul. Car un triathlon ne se résume pas à un parcours cycliste. C’est un tout, et surtout le respect d’un certain esprit, fait d’authenticité, de dépassement, d’humilité, de solidarité, et de compétitivité. Des ingrédients qui font, que, en à peine 15 ans, l’épreuve peut se targuer d’être déjà un mythe de la discipline, inscrit au palmarès – ou dans la To-do-List – des plus grand(-e)s …
Par Luc Beurnaux – Photos Thierry Sourbier
Capitaliser sur un site mondialement connu, tel est le pari lancé par Cyrille Neveu et son équipe, à l’été 2006. Alors qu’il est encore athlète de haut niveau, le Champion du monde Longue distance 2002 prépare sa reconversion. Ce sera dans l’événementiel, et sur ses terres d’adoption, lui, le Breton qui vit et s’entraîne à l’Alpe d’Huez depuis 1993. La station iséroise est alors son sponsor principal, celle qui l’aide à écumer les plus grands triathlons Longue distance de la planète, et qui accompagne ses plus grands succès. « La course que j’ai imaginée s’est inscrite dans la continuité de mes partenariats d’athlète » explique Cyrille Neveu. « Et la station a tout de suite apporté son soutien à mon projet d’évènement ». Elle y trouve sans doute une nouvelle occasion d’exploiter un potentiel estival énorme, comme de nombreuses autres stations de sports d’hiver qui cherchent à se diversifier l’été, et à attirer un nouveau public. Sauf que l’Alpe d’Huez est déjà un mythe. Grâce au Tour de France, grâce à la Petite Reine, grâce aux célèbres 21 virages qui emmènent le peloton professionnel et des dizaines de milliers d’amateurs de cyclisme de Bourg d’Oisans à l’Alpe d’Huez, la station est un site mondialement connu, et reconnu. On y vient des quatre coins du monde, pour se mesurer à la célèbre montée, rouler sur les traces des plus grands, comparer sa performance sur les 14km kilomètres de montée à 8%, et profiter du bon air du massif de l’Oisans durant un séjour qu’on prolonge allègrement. Les évènements sportifs s’y organisent par dizaines, ne laissant que très peu de « fenêtres de tir » disponibles, surtout le week-end, pour y ajouter une date supplémentaire, dédiée au triathlon. Voilà sans doute pourquoi l’Alpe Triathlon, historiquement, se déroule en semaine, depuis sa première édition. C’est l’occasion rêvée, pour ceux qui s’y déplacent, de prendre des congés au coeur d’un site remarquable, et d’assouvir sa passion du triple effort. Une programmation gagnante pour tout le monde : organisateur, station, et athlètes.
Eaux Froides, 21 virages et Altitude
Dès la première édition, l’intérêt pour cette épreuve se fait rapidement sentir auprès des triathlètes, à une époque où l’offre de triathlons « de montagne » n’était pas si large qu’aujourd’hui. « La première édition, c’était une année test, avec le format M seulement » se souvient Cyrille Neveu. « Nous avions ouvert les inscriptions assez tard, en février, et nous avons atteint 500 participants en très peu de temps. Le concept proposé était bon, visiblement, et c’était une première satisfaction pour nous. Tout a été très vite cette année-là. Honnêtement, nous n’avons pas eu le temps de cogiter, nous avons passé cette « première » la tête dans le guidon. D’un point de vue technique, les parcours ont tout de suite plu, mais nous avions compris qu’il était impossible de gérer plusieurs courses le même jour. Le Triathlon Kids et le Triathlon M avaient lieu le même jour, et c’était trop compliqué pour nous ! ».
La France du triathlon découvre alors un parcours qui deviendra vite une référence. Partenaire de l’épreuve, EDF ouvre pour l’occasion son lac du Verney aux nageurs. Une retenue d’eau situé sur la commune de Vaujany, au pied d’un majestueux cirque montagneux, réputée pour sa fraîcheur. Une spécificité qui d’emblée, fait parler, et constitue la première des difficultés de l’épreuve. Que ce soit par temps de canicule ou par une météo plus maussade, la température de ces eaux d’un bleu profond ne varie guère, et reste « désespérément » fraîche. Les organisateurs l’ont mesuré à 17°C, de moyenne, sur les cinq dernières éditions. Il n’est pas rare de sortir des eaux du lac du Verney complètement tétanisé, le menton et les extrémités comme anesthésiées par le froid. Les cagoules Néoprène sont souvent de sortie. Sur ce format M, vingtaine de kilomètres cyclistes s’offrent ensuite aux triathlètes frigorifiés pour retrouver leurs esprits, et pour que la circulation sanguine reprenne dans les extrémités…ou pas. Du plat et des routes larges permettent de rejoindre le bas de Bourg d’Oisans, et mènent ensuite les concurrents sur la fameuse montée aux 21 virages.
Le clou du spectacle, pour la course M, le « hot spot » pour lequel on s’est déplacé, et inscrit. La montée de l’Alpe. Enfin. Passé le tapis de chronométrage posé sur les derniers mètres de plat (qui vous permettra de connaître votre temps exact sur la seule montée), les athlètes peuvent enfin se mesurer au mythe, se prendre pour Pantani et consorts… Les premiers virages sont de véritables murs, bien difficiles à digérer. Puis le rythme de pédalage s’adapte à la pente. Le cœur s’emballe, logiquement, mais l’entraînement auquel vous êtes censés vous être astreint en vue de ce grand jour vous permet de « durer » à ce rythme élevé. Passé le village d’Huez, il semblerait que la pente s’adoucit. Ou est-ce les encouragements des bénévoles du ravito qui vous redonnent de l’allant ? Certainement un peu des deux. A chaque virage, vous jetez un œil aux pancartes accrochées aux falaises, qui font le décompte pour vous, et rappellent le souvenir des glorieux anciens ayant sué avant vous sur ces pentes. Pour faire bonne figure envers les spectateurs arrêtés dans les courbes, vous n’oubliez pas de relancer dans ces virages qui offrent parfois un court replat. Puis l’horizon s’élargit, sur les derniers virages. Vous vous sentez moins oppressé, moins à « l’étroit ». Le panorama se découvre, vous apercevez les virages précédents, en contrebas. En levant la tête en amont, les immeubles de la station de l’Alpe d’Huez se dessinent. Vous y êtes presque. Pour passer le temps, vous déchiffrez les inscriptions des supporters du Tour, comme gravées au sol, et résistant à l’usure du temps. Vous vous prenez parfois à rire en lisant certains messages. Puis c’est l’arrivée à T2. Un grand ouf de soulagement. Et une grande fierté d’avoir gravi sans encombre ces 21 virages. Le moral regonflé à bloc, vous partez pour la dernière section pédestre. A 1800m, pas facile de trouver ce second souffle. Ni de trouver la bonne foulée, sur une boucle vallonnée, offrant un mix de sentiers et d’asphalte. Mais quel bonheur d’évoluer dans un tel environnement, avec le col de Sarenne en fond d’écran ! Mais qui dit montagne, dit météo aléatoire, et changement brusques et soudains toujours possibles. Certains finishers entendent encore aujourd’hui résonner les grêlons tombés sur leur casque lors d’une édition épique et arrosée, et se souviennent des éclairs zébrant le ciel d’encre de l’Oisans. Une autre fois, c’est un brouillard à couper au couteau qui s’abat sur le parcours et la ligne d’arrivée, où il est difficile de discerner les finishers du jour. De quoi faire parler, le soir, au coin du feu, et d’ancrer un peu plus l’épreuve dans la légende !
Triathlon Longue distance et duathlon
Dès la 2e édition, les organisateurs rehaussent le curseur de la difficulté, en proposant un triathlon Longue distance. Et plus tard, un duathlon. Toutes la « famille » du triathlon, ou presque, peut ainsi trouver « chaussure à son pied ». L’aura mondiale du site, le travail des équipes de Cyrille Neveu et de l’agence internationale IMG – un temps co-organisateur – permet à un public étranger de venir découvrir les charmes de l’Oisans. Hollandais, Belges, Allemands, Britanniques déferlent en masse sur l’Alpe d’Huez, et son triathlon. On dépasse allègrement de seuil des 3000 triathlètes sur la semaine de course, ce qui en fait l’un des triathlons les plus populaires de l’Hexagone, aujourd’hui. Les plus hardis peuvent même enchaîner les épreuves sur la semaine de course, qui se conclut en apothéose par le splendide triathlon L. Après avoir nagé 2,2km dans le Lac du Verney, les héros du Long s’attaquent au gros du morceau : 118km de cyclisme et 3200m D+. Une mise en jambes ultra-rapide dans la Vallée de l’Oisans les emmène au pied de l’Alpe du Grand-Serre, premier col du jour (15km à 6,5%). S’ensuit un long segment accidenté dans le Valbonnais avec l’ascension du Col du Malissol (2,4km à 8,5%), au beau milieu d’un décor sublime. Puis s’avance le Col d’Ornon (14,4km à 4%), dont la pente s’accentue au fil des kilomètres, avant de plonger dans une descente vertigineuse vers Bourg d’Oisans. Le copieux menu se termine par les 21 virages, puis 20 km pédestres en direction du Col de Sarenne, véritable balcon donnant sur un panorama à couper le souffle. Un « gros morceau » qui vaut largement, selon ceux qui l’ont expérimenté, un distance Ironman, même si, sur le papier, il n’en n’a pas les mensurations officielles.
Un palmarès éloquent
Les plus grands athlètes du moment sont venus se frotter à cette épreuve iconique. Le palmarès parle à lui tout seul : Chrissie Wellington (quadruple championne du monde Ironman), Daniela Ryf (quadruple championne du monde Ironman), Nicola Spirig (championne olympique 2012), Tine Deckers (quintuple vainqueur de l’Ironman France) chez les filles, ou James Cunnama (Vainqueur de l’EmbrunMan et de l’Ironman France), Fred Van Lierde (quintuple vainqueur de l’Ironman France, champion du monde Ironman 2013), Victor Del Corral, ou encore Romain Guillaume chez les hommes y ont connu le succès. Sur le M, Fred Belaubre (quadruple champion d’Europe, 5e aux JO d’Athènes), Tim Don, Hervé Faure, Bertrand Billard, Andrea Hewitt, Emma Jackson, Delphine Pelletier, ont assuré le spectacle également. L’Alpe Triathlon, une ligne qui compte, assurément, sur un CV sportif. Certain(-e)s, comme les athlètes du groupe de Brett Sutton, célèbre entraîneur australien basé en Suisse, en font même un camp de base, pour allier sessions en altitude, et compétition.
Conserver une authenticité
Un plateau prestigieux qui sonne comme une juste récompense et une belle reconnaissance pour les organisateurs, dont l’objectif primordial est d’améliorer sans cesse « l’expérience athlète » ; sous ce vocable à la mode, se cache simplement la volonté affirmée de rendre toujours plus de services au concurrent, de le choyer durant son séjour à l’Alpe, avant, pendant, et après la course, pour lui proposer une expérience inoubliable, en des lieux inoubliables. « Corriger et améliorer sans cesse l’expérience des triathlètes, c’est vraiment notre moteur » explique Cyrille Neveu. « La convivialité, l’esprit familial et inclusif avec différents formats de course ont forgé notre identité, et l’une de nos plus grandes fiertés est d’accueillir nos participants 4 jours en moyenne sur la station, et dans l’Oisans. Je crois aussi que l’authenticité est une des valeurs qui nous définit le plus. Nous tenons à conserver un ‘mass start’ en natation, par exemple. Nous avons aussi coupé la circulation dans le sens de la descente, sur le M, dans les 21 virages, sur certaines portions, c’est un bon début » développe l’ancien champion, dont l’ambition est de continuer à développer son évènement, sans toucher à cette authenticité. Et en n’oubliant pas de transmettre ces valeurs et sa philosophie à son entourage. En plus de son épouse Laurence, cheville ouvrière de l’organisation, Cyrille peut compter sur le soutien de ses fils, qui ont suivi naturellement le sillon tracé par leurs parents. Baptiste, triathlète de bon niveau, assume un rôle de promoteur de l’épreuve auprès des athlètes professionnels ; César est de plus en plus impliqué dans la logistique, et Gaspar, le petit dernier, a servi de modèle dans le teaser 2020…